Ouverture des candidatures pour un contrat doctoral "Migration et environnement" dans le cadre de l'EUR ODYSEE d'Université Côte d'Azur

Publié le 4 mars 2021 Mis à jour le 4 juillet 2022
Date(s)

le 26 juin 2020

L’EUR OSYSSEE ouvre un appel à candidature pour l’obtention d’un contrat doctoral de 36 mois qui débutera au 1er octobre 2020. Ce contrat portera sur le thème des migrations et de l’environnement et sera co-encadré par Anne Millet Devalle (UPR LADIE) et Christian Rinaudo (UMR URMIS). Le dossier de candidature devra être déposé au plus tard le 11 septembre 2020 à minuit

  • Le dossier comprendra :
    • Un CV (2 à 3 pages) 
    • Un projet de thèse (4 à 5 pages)
  • Les critères d’évaluation sont les suivants :
    • Le parcours du candidat ou de la candidate exposé dans le CV
    • L’inscription du projet thèse dans une des approches disciplinaires de l’appel à candidature (cf. infra)
    • L’originalité et le positionnement scientifique du projet de thèse aux niveaux national, européen et international
    • La clarté du projet, de ses orientations théoriques et de ses choix méthodologique
    • La précision de la démarche empirique
    • La faisabilité du projet de thèse (temporalité, accès aux sources et aux terrains d’enquête...)
  • Les dossiers de candidature seront examinés par une commission composée des deux co-encadrants de la thèse, d’un membre du LADIE et d’un membre de l’URMIS ainsi que du chargé de mission « Recherche » de l’EUR ODYSSEE.
  • La commission sélectionnera un petit nombre de candidat.es pour une audition qui pourra avoir lieu en présentiel ou à distance. Elle établira un classement final dans le courant du mois de septembre pour un démarrage du contrat doctoral au 1er ocobre 2020.

Pour déposer le dossier

Enregistrer le CV et le projet de thèse au format pdf

Envoyer le dossier par mail avant le 11 septembre 2020 à minuit aux adresses suivantes : 

Christian.Rinaudo@univ-cotedazur.fr

Anne.MILLET-DEVALLE@univ-cotedazur.fr

Descriptif du sujet de recherche doctorale

 

Migrations et environnement : approches sociologiques et juridiques

Le thème des migrations environnementales ou climatiques est aujourd’hui de plus en plus débattu dans les organisations internationales, la société civile et dans le champ académique. Comme l’écrivait F. Gemenne en 2010, « Les rapports entre environnement et migrations sont désormais devenus un aspect incontournable des réalités migratoires, et il est vraisemblable que cette tendance se renforce avec l’aggravation des impacts du changement climatique » (Gemenne, 2010). Les estimations relatives à l’accroissement du nombre de victimes des catastrophes naturelles et du réchauffement climatique se font, en effet, année après année, sans cesse plus nombreuses et inquiétantes : appauvrissement des ressources, fonte des glaces, hausse du niveau de la mer... La dégradation de l’environnement y est souvent posée comme une cause nouvelle et désormais déterminante des migrations. Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau et, comme le soulignent P. Gonin et V. Lassailly-Jacob « L’histoire de l’humanité est jalonnée de migrations provoquées par des causes sans cesse répétées qu’il s’agisse de variations climatiques sur le temps long, de catastrophes naturelles, de crises démographiques ou économiques ou encore de guerres ». 

La relation entre environnement et migration ne se limite pas à un environnement contraignant, force motrice d’une émigration. Les ressources, la connaissance de l’existence d’une ressource, l’abondance de celles-ci, l’évolution de sa valeur d’une période à l’autre et l’accès (social, juridique, économique) à la ressource sont autant de facteurs de migration. Ici plutôt force motrice d’immigration au lieu d’accès à une ressource que d’émigration d’un lieu où celle-ci a disparu. L’orpaillage diffus qui s’est mis en place à travers une large part de l’Afrique de l’Ouest ou en Amérique latine a complètement rebattu les cartes migratoires précédemment dominées soit par les flux vers l’Europe et les Etats-Unis, voir par des flux intra-régionaux à destination des zones d’emploi urbaines ou rurales.  

Par ailleurs, les migrations génèrent leurs propres impacts environnementaux. Dans les pays dits « du Sud », souvent vue comme surpeuplée par rapport à leurs propres ressources, ce qui génère de la migration, s’observent des zones de déprises rurales où les paysages agraires anciens et patrimoniaux se dégradent. A l’opposé les migrations « Sud-Sud » liées aux conflits ont pu être étudiées, par exemple pour l’impact environnemental des camps de réfugiés (Jacobsen, 1997). 

Depuis maintenant plus de dix ans, la recherche a commencé à se structurer dans ce domaine, et a donné lieu à la publication de rapports, d’ouvrages et de numéros de revues académiques. Elle s’est attaché notamment à la mesure des déplacements liés à l’environnement (Kelman, 2019; Véron et Golaz, 2015), mais aussi à cerner les contours encore flous de catégories administratives regroupant des réalités extrêmement larges telles que « déplacés environnementaux », « migrants climatiques », voire « apatrides climatiques» ou « réfugiés écologiques » -bien que ces dernières expressions ne correspondent à aucun régime de protection défini par le droit international-, à analyser les positions des organisations internationales qui ont forgé ces catégories, les militants environnementalistes qui les ont médiatisées et le monde de la recherche académique qui a cherché à les interroger (Cambrézy et Lassailly-Jacob, 2010).

Approches sociologiques

Telle qu’elle a vu le jour dans le monde anglosaxon (Catton et Dunlap, 1978) et, plus récemment en France (Boudes, 2012; Charles et Kalaora, 2003; Kalaora et Vlassopoulou, 2013), la sociologie environnementale s’est donnée comme objet d’étudier les effets de l’environnement sur la société et les effets de la société sur l’environnement, prenant ainsi ses distances avec une vision anthropocentrée du monde. Bien engagée dans le domaine de la science politique, la question des migrations environnementales est encore très largement absente dans celui de la recherche socio-anthropologique. Celle-ci peut pourtant apporter des éclairages nouveaux en s’appuyant sur des approches développées dans la discipline. Les projets de thèse peuvent proposer des recherche empiriques à réaliser au Nord comme au Sud, s’inscrire dans les différents paradigmes développés dans la discipline et s’inspirer des problématiques de recherche éprouvées dans les domaines de la sociologie des migrations ou dans la sociologie environnementale.

Parmi les pistes possibles pour présenter un projet de thèse, on peut envisager celle qui consiste à traiter les migrations environnementales comme un « problème public », au sens pragmatiste du terme (Dewey, 1927) et tel que développé dans la sociologie américaine depuis les années 1980 (Gusfield, 1981; Spector et Kitsuse, 1987). Il s’agit d’appréhender les phénomènes migratoires et environnementaux non pas comme des réalités naturelles objectives (approche réaliste), mais comme des phénomènes construits par les experts, les organisations internationales et les ONG, les activistes et les responsables politiques (Hannigan, 1995 ; Rinaudo, 1995). Depuis le premier rapport remis à l’organisme onusien en 1985 au sujet des « réfugiés de l’environnement » (El-Hinnawi, 1985) jusqu’aux interactions quotidiennes dans les agences comme sur les terrains d’action des ONG et des organisations internationales, c’est ici l’évolution des activités de définition et de légitimation du problème et de leurs traductions politiques qui est l’objet de la recherche. De ce point de vu, différentes méthodes d’investigation sont envisageables, à partir de documents d’archive, mais aussi d’enquête dans des organismes et auprès d’acteurs clés de la construction du problème public.

Une autre piste possible dans l’analyse sociologique porte sur les enjeux de pouvoir autour de la catégorisation des phénomènes sociaux (migrations forcées, environnementales, climatiques, etc.) et des personnes qui sont désignées (migrants ou réfugiés climatiques, etc.). Produites par des administrations ou des organisations pour conduire l’action publique, par la statistique pour en évaluer les effets et établir des prévisions, ou encore par les sciences sociales pour observer et comprendre les phénomènes en question, les catégories participent de la formation des identités collectives et de l’encadrement des populations (Martiniello et Simon, 2005).

A un autre niveau, il est également possible de s’intéresser aux « carrières migratoires » (Martiniello et Réa, 2011) et d’intégrer au sein d’un même cadre théorique les effets des structures d’opportunités (l’intériorisation des contraintes environnementales qui orientent les migrants sans leur consentement, l’impact des décisions politiques, etc.), les caractéristiques des individus (les caractéristiques individuelles d’une personne, les changements dans ses perspectives, ses motivations et ses désirs, la prise en compte de ses projets face aux risques climatique et environnementaux) et les effets des réseaux et du capital social (la mobilisation des ressources normatives, matérielles, statutaires, humaines, informationnelles, etc.).

D’autres problématiques de recherche sont bien sûr envisageables et pourront être proposées par la canditate ou le candidat, comme celles s’appuyant sur des approches micro-individuelles, macro-structurelles, centrées sur le genre ou sur les relations inter-ethniques et raciales, etc. 

Approches juridiques

Du point de vue du droit international et européen, il s’agit d’étudier en premier lieu la diversité des sources normatives, la pratique administrative et judiciaire ainsi que les rélexions académiques en la matière. Ces dernières, menées notamment sur la protection des personnes déplacées, visent à interroger l’adéquation entre les mobilités consécutives à des atteintes à l’environnement et les régimes juridiques existants (Borges, 2018). Force est alors de constater que les niveaux de protection juridique locaux, nationaux et internationaux demeurent insuffisants, épars et en recherche de cohérence. La protection des migrants climatiques allant jusqu’à être qualifiée de « largement hypothétique et prospective » (Imbert, 2020). 

Les analyses juridiques peuvent porter sur le régime de protection des personnes déplacées en raison de changements environnementaux ou climatiques (Cournil et Vlassopoulou, 2015), sur le statut à accorder aux personnes qui se déplacent pour des raisons environnementales et sur le choix des termes à employer (“réfugié” ou “déplacé”) (Bétaille, 2010). La question des déplacements (ou circulations) climatiques s’inscrit en ce sens dans la droite lignée des problématiques migratoires classiques, oscillant entre des qualifications juridiques fluctuantes et une effectivité insuffisante des solutions existantes. Il s’agit en outre de mesurer la mobilisation d’autres outils juridiques, en particulier dans le champ du droit international et régional des droits de l’homme, du droit international humanitaire (lorsque les zones concernées sont en proie à des conflits armés), du droit des peuples autochtones (particulièrement affectés par les changements climatiques), du droit international de l’environnement afin d’évaluer la prise en compte des déplacements de population, notamment dans la définition des obligations internationales et de la mise en œuvre de la responsabilité internationale pour atteintes à l’environnement. Il convient également d’explorer l’action tant diplomatique, normative et opérationnelle des organisations internationales non gouvernementales et interétatiques, telles que le HCR, l’OIM ou l’Union européenne. Le traité de Lisbonne constitue notamment un cadre juridique permettant une meilleure prise en compte des déplacés de l’environnement, un sujet débattu de façon croissante au sein de l’UE, dans la gestion des « crises environnementales » (Gemenne, Cointe, Durieux et Boncour, 2010). L’UE a en outre structuré dès les années 90 les volets internes et externes de la solidarité en matière de catastrophes naturelles et de crises humanitaires et défini un cadre juridique, institutionnel et conceptuel pouvant être mobilisé en la matière (Auvret-Finck, 2018).

Si la création de nouveaux instruments juridiques spécifiques et contraignants, notamment d’une nouvelle convention de Genève, est régulièrement évoquée (Docherty, Giannini, 2009), le plus souvent avec scepticisme (McAdam, 2011), le soft law constitue en revanche un champ d’évolution normative particulièrement riche et actuel.  L’adoption en décembre 2018 du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières représente à ce niveau une contribution importante en vue d’une meilleure gestion des flux migratoires, notamment environnementaux (objectif  2 du Pacte), impliquant à la fois les pays d’origine, de transit et de destination, de même que la décision du Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies du 24 octobre 2019 (n°2728/2016). Cette dernière donne une singulière actualité à la thématique proposée pour la thèse : la demande, émanant d’un requérant qui souhaitait devenir « le premier réfugié climatique du monde en Nouvelle-Zélande », n’a pas été accueillie sur le fond mais le Comité affirme clairement qu’une obligation de non-refoulement, issue de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, peut s’appliquer aux personnes qui ont quitté leur pays pour des motifs liés aux effets néfastes du changement climatique. 

Les instruments juridiques comme les processus diplomatiques en cours en matière de changement climatique ou de droits humains peuvent ainsi être analysés dans le contexte d’une réflexion sur les sources tant matérielles que formelles du droit international, ici confronté à un « fait social générateur de droit objectif » (Scelle,1984). Dans cette perspective, les stratégies étatiques et non étatiques en matière de sources du droit révèlent des enjeux de lawfare. Les interactions entre les différents instruments et catégories juridiques seront ainsi au centre du projet et impliqueront une vision systémique. 

Références bibliographiques

Auvret-Finck J. (Dir),  La dimension environnementale de la politique extérieure de l’UE, éditions Pedone, 2018.

Bétaille J. [2010], « Des “réfugiés écologiques” à la protection des “déplacés environnementaux”. Eléments du débat juridique en France », Hommes & Migrations, vol. 1284, p. 144-155.

Borges I. M. [2018], Environmental change, forced displacement and international law: from legal protection gaps to protection solutions, Routledge.

Boudes P. [2012], « La sociologie de l'environnement : objets et démarches », in Barbier R., Boudes P., Bozonnet J.-P.,Candau J., Dobré M., Lewis N. et Ryudolf F. (dir.), Manuel de Sociologie de l'Environnement,, Laval, Presses universitaires de Laval, p. 113-125.

Cambrézy L. et Lassailly-Jacob V. [2010], « Réfugiés climatiques, migrants environnementaux ou déplacés ? Du consensus de la catastrophe à la surenchère médiatique - Introduction », Revue Tiers Monde, vol. 4, n° 2014, p. 7-18.

Catton W. R. et Dunlap R. E. [1978], « Environmental sociology: a new paradigm », American Sociologist, vol. 13, p. 41-49.

Charles L. et Kalaora B. [2003], « Sociologie et environnement en France. L'environnement introuvable ? », Écologie & politique, vol. 27, p. 31-57.

Cournil C. et Vlassopoulou C. A. (dir.) [2015], Mobilité humaine et environnement : du global au local, Paris, Editions QUAE GIE.

Dewey J. [1927], The Public and its Problems, New York, Holt.

El-Hinnawi E. E. [1985], Environmental refugees, United Nations Environment Programme.

Gemenne F. [2010], « Introduction », Hommes & Migrations, vol. 1284, p. 6-8.

Gemenne F., Cointe B., Durieux J.-F. et Boncour P. [2010], « Le rôle des cadres normatifs et des organisations internationales », Hommes & Migrations, vol. 1284, p. 128-143.

Gusfield J. R. [1981], The Culture of Public Problem : Drinking-Driving and the Symbolic Order, Chicago, University of Chicago Press.

Hannigan J. A. [1995], Environmental Sociology: A social constructionist perspective, London, Routledge.

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Kelman I. [2019], « Imaginary Numbers of Climate Change Migrants? », Social Sciences, vol. 8, n° 5, p. 1-16.

Martiniello M. et Réa A. [2011], « Des flux migratoires aux carrières migratoires. Éléments pour une nouvelle perspective théorique des mobilités contemporaines.. », SociologieS.

Martiniello M. et Simon P. [2005], « Les enjeux de la catégorisation », Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 21, n° 2, p. 7-18.

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Spector M. et Kitsuse J. I. [1987], Constructing Social Problems, New York, Aldine de Gruyter, 184 p.

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