Journée d'étude sur le Mécanisme européen d’Ajustement Carbone aux Frontières, 16 juin 2023
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le 16 juin 2023
Campus Trotabas
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La journée d'étude sur le Mécanisme d'ajustement de la taxe carbone aux frontières, organisée par Nicolas Pigeon, MCF à Université Côte d'Azur, responsable du Master 2 Droit économique de l'UE, se propose d’analyser, en croisant les regards de juristes (privatistes et publicistes) et d’économistes, ce nouvel instrument juridique de l’Union européenne dont la finalité déclarée consiste en la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le continent européen. L'ambition scientifique de cette initiative est double : elle consiste, en premier lieu, à clarifier le fonctionnement de ce dispositif particulièrement complexe, notamment du point de vue des opérateurs économiques qui seront directement concernés.Cette analyse sera complétée, en second lieu, par une mise en perspective du mécanisme dans l’ordre juridique européen et dans l’ordre juridique international. L’objet sera alors de proposer une évaluation de ses interactions avec d’autres éléments de la politique environnementale de l'UE.
Parmi les propositions de textes publiées en juillet 2021 par la Commission européenne pour la réalisation du Pacte vert européen, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est envisagé. De quoi s’agit-il ? Selon la Commission, d’une extension du système d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre applicable à la production intérieure (SEQE), aux importations dans l’Union d’une sélection de produits particulièrement polluants. Les importateurs concernés devront restituer à l’administration des certificats préalablement achetés à un prix qui serait fonction de l’intensité des émissions réelles intrinsèques
– la teneur en carbone – des produits importés.
La raison d’être de ce dispositif apparait surtout dans la période transitoire à laquelle est soumise sa mise en œuvre. Celle-ci sera en effet progressive parce que corrélée à la réduction graduelle du volume de quotas d’émissions alloués à titre gratuit à certaines entreprises européennes. Complémentaire au SEQE dans un premier temps, le MACF ne s’appliquera donc pleinement qu’au moment de l’extinction de l’offre de quotas gratuits. Et l’enjeu essentiel du texte est là : éviter que la cessation de cette distribution de quotas ne se traduise par des délocalisations, c'est-à-dire, pour reprendre le langage du texte, par des « fuites de carbone ».
Comment appréhender un tel dispositif du point de vue de l’ordre juridique européen ? En première analyse, l’identification des objectifs de l’Union auxquels participe le MACF suscite déjà toute une série d’interrogations. Ce mécanisme poursuit-il vraiment, comme le prétend la Commission, un « objectif purement environnemental » (et climatique) ? Est-il à ce titre un élément adéquat pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris au sein de l’Union ? Ne s’agit-il pas, tout autant, d’un dispositif visant à protéger de la concurrence internationale les entreprises européennes, et notamment celles qui ne pourront plus bénéficier de quotas gratuits ? Faut-il y voir, au surplus, une manifestation de la stratégie européenne d’exportation normative destinée, par effet d’entrainement, à faire converger les standards de protection de l’environnement dans les pays tiers vers la norme européenne (celle-ci prenant ici la forme, singulière, d’un prix du carbone) ? L’analyse du mécanisme, dont les éléments de complexité sont multiples (quels secteurs économiques et quels types d’émissions seront concernés ? quels seront les rôles respectifs des administrations douanières et des opérateurs économiques dans sa mise en œuvre ? quelle sera la méthodologie de fixation du prix du carbone ? quel système d’allocation des revenus générés est prévu ? quelles adaptations le secteur de l’électricité impose-t-il ?), devrait permettre d’éclairer plus précisément ses finalités.
Au-delà du texte, l’insertion du MACF dans l’ordre juridique européen interroge à plusieurs égards. D’abord, en tant que nouvelle déclinaison du principe pollueur-payeur, ce mécanisme peut être saisi par le droit économique de l’environnement. De ce point de vue, les questions abondent : puisque ce mécanisme est présenté comme une mesure non isolée, prise en réponse aux engagements issus de l’Accord de Paris, quels sont ses rapports avec d’autres dispositifs juridiques récemment adoptés (ou en cours d’adoption) aux mêmes fins, qu’il s’agisse par exemple de la loi européenne sur le climat, des règlements en matière de contrôle des émissions carbone ou du devoir de vigilance des entreprises ? Comment sera organisée sa coexistence avec le SEQE, en matière d’échanges de certificats ou de fixation du prix du carbone ? Quelles adaptations, dans la comptabilité des entreprises, l’internalisation de coûts environnementaux et climatiques générés en dehors des frontières de l’Union va-t-elle susciter ?
Ensuite, bien que fondé sur l’article 192 § 1 TFUE, le MACF n’en constitue pas moins une mesure de nature à affecter directement les échanges internationaux de marchandises. Il intéresse très directement, à ce titre, la politique commerciale commune de l’Union, et donc le droit de son action économique extérieure. Premièrement parce qu’il constitue une nouvelle manifestation d’un recours désormais accru à l’acte unilatéral pour règlementer les échanges internationaux. Il y a là une évolution, notamment pour l’Union européenne, qui demande à être analysée. Deuxièmement parce que la perspective de l’adoption de ce mécanisme a provoqué une série de réactions de la part des partenaires commerciaux de l’Union, certains contestant ouvertement sa compatibilité avec les engagements pris au titre du droit international du libre- échange. De ce point de vue, comment le MACF européen doit-il être qualifié ? Est-il licite ? Si ce n’est pas le cas, peut-il néanmoins être justifié ?
Enfin, et plus généralement, le MACF peut être appréhendé par le prisme des fondamentaux du droit de l’intégration européenne et de l’économie politique. L’hypothèse d’une transformation en profondeur de la logique marchande de la construction européenne en raison de l’urgence environnementale est-elle tenable ? Ne faut-il pas, bien au contraire, voir dans le recours immodéré à l’instrument de droit économique pour la promotion de considérations environnementales – le MACF en est, parmi d’autres, un exemple paradigmatique –, une captation par le marché des modalités de traitement de l’intérêt général ? Le prix du carbone, qui sera au cœur du fonctionnement du MACF, doit-il être considéré comme une nouvelle illustration de ce mode de gouvernement qu’est la gouvernance par les nombres1 ?
Telles seront les principales interrogations que cette journée d’étude transdisciplinaire se propose d’aborder, en croisant les regards de juristes (privatistes et publicistes) et d’économistes. Leur analyse bénéficiera d’un premier temps d’échanges avec des acteurs du processus décisionnel ayant conduit à l’adoption du règlement instituant le MACF. Elles seront le prélude à un colloque intitulé « Green Deal et marché – Vers une transformation matricielle du droit européen à l’heure du Green Deal ? », organisé par M. Alan Hervé (Professeur de droit public) à l’Institut d’études politiques de Rennes à l’automne 2023.