Colloque Chaire Jean Monnet : L'Union européenne et la gestion des crises, 2-3 décembre 2021

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Publié le 26 mars 2021 Mis à jour le 4 juillet 2022
Date(s)

du 2 décembre 2021 au 3 décembre 2021

2 et 3 décembre 2021

 
Lieu(x)

Campus Trotabas

> Programme du colloque « Union européenne et gestion des crises » 2-3 déc 2021 <


Malgré l’actualité, n’est-il pas redondant de reprendre l’analyse de la gestion des crises par l’Union européenne ?
Pour n’évoquer qu’un exemple récent, à l’époque de la crise économique et financière, ne parlait-on pas déjà d’épisode « sans précédent », constituant un « tournant décisif » ?
Déjà, ne s’agissait-il pas d’une « polycrise » ?
Et déjà, la doctrine, notamment européaniste, ne s’était-elle pas saisie du thème de la crise, de sa signification et de son appréhension du point de vue de l’Union ?
Alors, à quoi bon tout recommencer ?

Certes, à lui seul, l’argument de la répétition n’est pas déterminant pour écarter toute pertinence à se saisir à nouveau d’un objet d’étude. Après tout, les circonstances ne sont aujourd’hui plus les mêmes, et ces différences sont certainement porteuses de sens pour l’analyse scientifique. Ainsi, ce colloque est d’abord conçu comme l’opportunité de poursuivre des réflexions déjà engagées, de mettre à l’épreuve les conclusions qui ont pu être tirées des situations de crises précédentes à l’aune, notamment, du changement et de la spécificité des circonstances présentes. Mais ce colloque est conçu, aussi, comme une invitation à emprunter d’autres pistes de recherches, pour trois raisons principales : d’abord, parce que la pertinence du concept de crise pour penser l’Union européenne doit-être interrogée ; ensuite, parce que les déterminants principaux de l’analyse des crises européennes paraissent eux aussi devoir être pris comme objet de réflexion, pour être éventuellement contournés, voire dépassés ; enfin, parce l’Union européenne est traditionnellement perçue comme un opérateur de gestion des crises et que la question de sa contribution, ou peut-être plus précisément celle de son droit, à la survenance des crises peut, elle aussi, être posée.

La crise est-elle un prisme pertinent pour porter un regard juridique et scientifique sur l’Union européenne ? Il n’est pas question de nier la place qu’occupe la notion de crise dans le discours sur la construction européenne, ni son caractère opérationnel pour mener certaines analyses, ni, bien sûr, les phénomènes dits de crises qui ont jalonné l’histoire de la construction européenne. Pour autant, à plusieurs égards, cette question mérite, à nouveau, d’être posée. La doctrine a déjà eu l’occasion, d’ailleurs, de dire l’insaisissabilité de cette notion au sein de l’Union : depuis sa création l’Union n’a pas vécu un instant, ou presque, sans être confrontée à une situation dite de crise. Et les formes en ont été si variées que l’objet devient fuyant, indiscernable. Mieux, la vocation du projet européen à l’intégration d’États souverains ferait de la crise le milieu naturel dans lequel évolue et se construit l’Union. La crise serait en ce sens consubstantielle à la construction européenne, celle-ci progressant au rythme des crises et des relances qui en découlent nécessairement. Dépourvu de singularité, l’objet se diluerait alors dans les heurts inhérents au processus de construction européenne. 
En même temps, prenant le contre-pied de cette analyse, n’est-il pas permis de s’interroger sur le bien-fondé de l’utilisation d’une notion signifiant un moment de rupture, de changement décisif, pour décrire un ordre juridico-économique dont les fondations ordo-libérales, ou néolibérales, paraissent depuis 1957 d’une remarquable stabilité ? Dans cette perspective, les épisodes dits de crise, pour n’être pas irréels, ne constitueraient peut-être qu’une surface d’évènements n’affectant qu’à la marge une constitution économique mobile et adaptable mais fondamentalement pérenne. Quelle crise, en effet, en l’absence sur ce point de changement décisif, sans la survenance, pour reprendre les mots d’Hannah Arendt, d’une « situation sans précédent introduisant une rupture avec un passé qui ne fournirait plus les ressources pour penser le présent et s’orienter dans l’avenir » ? En ce sens, la crise pourrait être, finalement, étrangère à l’Union européenne. 
Néanmoins, pour autant qu’il soit tenable, ce constat ne doit-il pas être abandonné compte tenu de la crise sanitaire actuelle ? Cette situation paradigmatique de polycrise affecte-t-elle la structure d’ensemble de l’Union a un point tel que la notion de crise s’avère en l’occurrence vraiment pertinente ? En ce sens, cette crise sanitaire serait-elle la première véritable crise à laquelle l’Union est confrontée ?

Ce colloque fait, ensuite, le pari d’un déplacement de l’analyse : celui d’interroger les phénomènes dits de crise non pas seulement en eux-mêmes, non pas seulement dans la perspective du mouvement historique d’intégration – et de ses retours en arrière –, non pas seulement du point de vue de l’inéluctable répétition de couple crise / relance, mais du point de vue prioritaire des modes de gestion qu’ils suscitent. L’hypothèse consiste à se déprendre du prisme de la dynamique du processus d’intégration pour adopter un point de vue plus statique et tenter d’établir une cartographie des dispositifs de gestion de crise, dans leurs singularités, leurs relations et leurs corrélations. 
Comment s’y prendre ? Comment mener une telle analyse ? Comment penser l’Union indépendamment du mouvement historique autonome, prétendument irréversible, qui en constitue le récit normalement incontournable ? 

Si la gestion est avant tout administration, donc ensemble d’actions et de ressources mobilisées en vue d’assurer une fonction, l’analyse des modes de gestion de crise de l’Union peut emprunter plusieurs voies :  
- Quel rattachement possible des modes de gestion de crises mis en place au niveau européen à la science administrative ? Y a-t-il dans les dispositifs de gestion de crise de l’Union des ferments d’un droit administratif européen, d’un mode d’administration singulier ?
- Comment les crises sont-elles constituées en tant qu’objet dans les dispositifs de gestion de crise européens ? A l’aune de quels principes, selon quelles méthodes, les crises sont-elles gérées ? 
- Comment le concept de gestion de crise et ses méthodes, conçus dans le cadre de la PESC, sont-ils importés dans les autres domaines du droit de l’Union ?
- Quelles ressources de l’ordre juridique européens sont mobilisées ? Avec quel profit ? Quelles limites ? Quels sont les acteurs impliqués ? Comment sont organisées leurs relations, leurs interactions ? Qui décide ?
- Quels sont les effets produits par les dispositifs de gestion de crise sur les caractéristiques essentielles de l’ordre juridique européen ?
- Quelles sont les relations entre les dispositifs de gestion de crise existants ? Y a-t-il des invariants, des corrélations récurrentes ? Y a-t-il des éléments de contradiction ?

Ce colloque, enfin, sera l’occasion d’une analyse critique sur le droit de l’Union lui-même, en tant qu’il pourrait constituer un facteur de crise pour l’Union européenne. Des analyses récentes conduisent en effet à déceler, dans la fabrique et le déploiement du droit de l’Union, quelques grandes tendances, quelques mouvements généraux, dont le sens et la portée pourraient affecter les structures fondamentales de l’ordre juridique européen : fragmentation / parcellisation du droit de l’Union, individualisme, recours au discours sur les valeurs, délégation du pouvoir à l’expertise, incapacité à résoudre la question démocratique, etc. Si tel devait effectivement être le cas, si l’Union produit bien elle-même, à travers son droit, pourtant instrument historique de sa création et moteur de son développement, les germes de situation de crises futures, n’est-il pas d’une impérieuse nécessité pour la doctrine de se saisir du sujet, et de contribuer, ainsi, à la gestion des crises dans l’Union européenne ?
Nicolas Pigeon
Date(s)
Du 2 décembre 2021 00:00 au 3 décembre 2021
2 et 3 décembre 2021